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pleine puissance


réflexions ouvertes sur le sens secret

le sens secret c’est le sexe, dont Vyâsa dit qu’il faut le garder et le tenir caché, sinon à la moindre indulgence il entraîne
irrésistiblement tous tous les autres qui s’y associent dans un désir ardent. Il appelle donc chasteté le contrôle (samyama)
de l’organe secret. C’est dire la puissance du désir.

dans la mouvance de ce qui vit
– ahimsā : intégrer toute violence en moi
C’est bien sûr à moi-même que je nuis en premier lieu quand je blesse, malmène, détruis un quelconque aspect du vivant,
de l’infiniment grand à l’infiniment petit, toutes dimensions confondues. Cette part d’obscur projetée hors de moi sous une
forme destructive dit ma maladresse à manipuler la puissance de la pulsion de vie, ma peur face à la réalité de sa
violence. Et si je laissais s’affronter les forces qui s’opposent naturellement et m’occupais plutôt de la terreur panique
qu’elles suscitent en moi ?
– satya : la pleine mesure de mon être
Mon intégrité c’est me prendre tout entier, ne céder en rien à la plus haute exigence et la traduire joyeusement en toutes
choses. Là où je bute, je fléchis, je suis absente, là où je me sens opprimée ou pas reconnue, quels espaces vitaux en
moi ne sont pas déployés, quelles dimensions ne sont pas investies et affirmées ?
– asteya : m’accorder, prendre ce qui est mien
Et si je ne prends pas ce qui est mien ? Fascinée par ce qui est autre, ma part de manque, ou attachée à des
conditionnements ou des croyances, intériorisés ou auto-engendrés, je néglige ou je manque d’honorer ce qui est mien,
faiblesse qui sape la base de ma droiture, réduit mon ouverture et biaise mon regard, mon toucher d’autrui.
– brahmacarya : plénitude en moi-même
– aparigraha : accueillir la saisie des sens
Mes sens, indomptables, sont essentiellement libres, spontanés, en dépit de l’empreinte culturelle dévalorisante à leur
égard. Malmenés, exacerbés ou réprimés, ils exigent continuellement leur dû, directement ou indirectement, et peuvent
déraper à tout moment. La distance, pas plus que la privation, la dissociation ou l’abstraction, ne m’en donne le
détachement. Pleinement reconnus, apaisés, pacifiés, les sens se rendent disponibles. Ma main veut toucher, mon pied
veut marcher, mon sexe veut jouir, instants d’unité.
Quand la tête cherche à tout dominer et contrôler, ma sensation intime me ramène à l’essentiel du vécu. En résonance
avec la vie, accueillir la part intime de mon ressenti.
Vivante, où est ma plénitude ? qu’est-ce qui dilate mon coeur, le fait exulter et m’inonde de joie ? En toutes choses et à
tout instant choisir cela.

brahmacarya = se mouvoir en l’absolu
Comme l’absolu est tout et l’origine de tout, tout est en lui, je ne peux pas aller vers lui mais seulement me mouvoir en lui.
Je ne peux pas non plus en être exclu, ni m’en séparer, je suis en l’absolu et je suis l’absolu… mais je ne le sais pas.
Marcher donc, cheminer et évoluer en moi-même, laissant peu à peu apparaître ce que je suis et le réaliser pleinement.
Un élan, à la fois la quête de l’unité en l’absolu et ma propension naturelle à le manifester à ma manière unique,
l’expression de ma joie, de mon enthousiasme.

Je suis ce que je cherche et je ne cesse de le chercher, de le trouver, de le perdre encore… et pourtant je suis cela.
Adossé ou assis au soleil, les yeux clos, le souffle va et vient, je suis le souffle, je suis en mouvement, je suis.

brahmacarya = un Etre errant
Accepter complètement ma condition humaine, avec les contraintes, les limitations, les frustrations qu’elle implique : ma
vie, avec ses aléas, est parfaite telle qu’elle est. Dans cette dimension, j’adopte une forme errante qui assume, comme
des vêtements endossés tour à tour, des milliards de facettes de la conscience que je suis et les intègre par le biais des
émotions qu’elles suscitent en moi. Le moteur ? Mon désir qui, encore et encore, choisit ceci ou cela ou tout dans l‘infinité
des possibles et l’éclaire de son attention : manifestation sensible de l’universel dans chacun des particuliers.
Etre pérégrine, ma liberté ! M’octroyer librement de vivre la plénitude du tout dans chaque élément de la succession des
choses, la multiplicité du tout dans la saisie globale de chacune de ces parties, la simultanéité du tout dans la riche palette
d’émotions que l’expérience d’un élément quelconque me présente. La clef ? Etre là, ne rien exclure, prendre la vie toute
entière!

Marcher, longtemps, dans une ville inconnue, étrangère de préférence, sans projet ni destination, ouverte absolument à
tout, jusqu’à la fatigue et la lassitude peut-être de sentir simultanément tout, avec une telle intensité,… à moins que,
légère, des ailes ne me poussent et que je ne cesse jamais plus d’errer. Plus difficile à réaliser dans la nature, où on est
immédiatement pris!

brahmacarya = vivre le sacré
Un voile tombe sur la dimension sacrée du désir qui cherche, même inconsciemment, l’unité, aussitôt que des injonctions,
des prescriptions, des règles, viennent ritualiser, formaliser, modérer la spontanéité de son élan… Etrange mystification
du mental et notable perte de sens, alors que c’est précisément pour en protéger l’insondable et l’ineffable authenticité
que ce cadre est donné. La morale, la religion, la spiritualité, délibérément ou non, en sanctionnant la sexualité, éloignent
ou dissocient de son mystère en tant que voie d’éveil.
Faire tomber les voiles et retrouver dans le sanctuaire de la vie et dans l’abandon en pleine conscience au sacré l’ingénue
exigence du désir : être une, en moi-même dans le miroir de l’autre. Vivre pleinement la puissance de ma sexualité est un
sacerdoce.

Debout, les mains sur les hanches, sentir ma chair, les os de mon bassin et au gré du souffle ou avec un air de musique
peut-être ou le bruit du vent, esquisser un simple mouvement du bassin, plutôt lent et intime, qui va en s’élargissant et en
s’amplifiant et entraîne peu à peu un bras, la nuque, ma voix… et mon corps tout entier à rencontrer sa force vitale qui
s’exprime librement. C’est sacré.

brahmacarya = aller vers moi-même
Certes la jouissance forcenée et inconsciente ne conduit pas à l’illumination. Mais toute pulsion de vie cherche
essentiellement l’union avec l’absolu, la fusion en l’absolu, dont elle atteste la réalité, du fait qu’elle en porte l’empreinte et
la mémoire, même si moi, dans la compréhension individuelle et mentale que j’en ai, je n’en sais rien.
La jouissance du monde ou l’absolu, il faut choisir, semble-t-il. Pour préserver le désir de la pollution du monde, un lieu de
tentation et de plaisir, on a tendance à brider, museler, mettre des oeillères et à monter la garde. En acte, en parole ou
même en pensée ne pas succomber au risque de perdre la tête et la voie. Mais justement la tête ne peut appréhender
cette puissance que recèle le désir.
Délier, libérer la sexualité de son carcan de projections et de préjugés, pour retrouver l’intimité avec la Vie, à travers cet
autre sur lequel se porte mon désir d’unité. La sexualité comme moyen de retirer les illusions qui me séparent de moimême
: fascination, obsession, dépendance, déviance… mais aussi tabou, rejet, frustration, culpabilité, violences subies
et infligées… Dans l’émotion du vécu laisser se dissoudre la peur qui me coupe de la plénitude de moi-même et du
monde.

Où est ma peur ? La rencontrer et la reconnaître chaque fois qu’elle se fait sentir dans les interactions entre coeur et
pulsion de vie dans l’intimité, dans le quotidien, avec l’autre et en moi-même. Vases communicants : le ventre s’ouvre, le
coeur se ferme et vice versa, mouvements imperceptibles ou coups de poignard, l’alternance ou l’antagonisme disent une
part de division en moi.

brahmacarya = accomplir la conscience
L’ascète choisit de trouver loin de l’autre l’union avec l’absolu. C’est en lui-même et sans intermédiaire qu’il tend vers la
fulgurance libératrice de l’unité. Parfois la pulsion de vie s’oriente naturellement vers le non-manifesté, l’abstinence est
spontanée et sans faille, c’est plutôt rare. Sinon la maîtrise découle de la capacité à maintenir un certain niveau de
conscience. Connaissance, c’est-à-dire saisie intime : dans la transmission, l’usage sacré ou profane de la sexualité, le
sage n’est tenu à aucune règle.
La jouissance présente le risque de me perdre dans l’autre ou dans la multitude des autres, l’abstinence celui du mépris et
du refus de la forme manifestée du monde dans l’aspiration à une non-forme idéalisée et abstraite de ma réalité
sensorielle.
Or la conscience est en toutes choses, elle peut être réalisée à travers chacune des innombrables formes que prend ma
pulsion de vie et des expériences qu’elle m’amène à faire, dans la sexualité comme partout ailleurs. Dans l’absolu, la
jouissance sexuelle est une fonction sensorielle comme une autre, le secret est dans le pouvoir créateur de la pulsion qui
embrase la chair.

Qu’est-ce qui résonne avec moi ? Vers quoi mon désir me porte-t-il ? Avec quoi est-ce que je m’unis ? Consonances et
dissonances sont la conscience.

La puissance du sexe
Quelle est la véritable nature de la pulsion sexuelle ? Similaire à la puissance contenue dans l’atome, dont on a l’usage
mais pas la connaissance. Son potentiel d’éveil et sa puissance créatrice, informatrice et régénératrice nous échappent.
On y voit un capital vital fini utilisable à des fins créatrices de plusieurs manières et à différents niveaux, se soutenant
et/ou s’excluant mutuellement, comme dans la relation entre force vitale et puissance de création artistique, ou approchés
par analogie comme la jubilation amoureuse et l’extase mystique.
Le potentiel est infiniment plus grand en réalité. Selon le niveau de conscience atteint et l’état de conscience dans lequel
est vécue la pulsion sexuelle, différents niveaux de création sont possibles: la pulsion instinctive et bestiale, dans sa
simple expression et avec toutes ses déviances, donne accès à la procréation, la création sur le plan de la chair. Vécue
sur un plan sentimental, la jouissance sexuelle, dans sa pureté immaculée comme dans toutes ses perversions, permet
de réaliser consciemment ou non une forme de plénitude émotionnelle dans l’union. L’union consciente de deux âmes
individuelles entraîne le partage de toutes leur déterminations personnelles, de leur expérience et du niveau de réalisation
atteint. La fusion des polarités dans une telle union dégage une énergie prodigieuse d’éveil et création autonome, mise au
service de ces consciences individuelles et de l’humanité en général. Cette énergie donne omniscience et toute-puissance
sur le plan d’existence où elle est réalisée et sur les plans inférieurs.
Nul besoin de la protéger, l’accès à la puissance cachée de la pulsion sexuelle est régulé par le niveau de conscience
réalisé. Comme la puissance atomique, qui brûle et détruit celui qui en ignore la nature, la brutalité bestiale n’émerge pas
de la confusion et de la stupeur et la quête du plaisir s’enlise dans une jouissance sensuelle qui fait diversion et éloigne du
noyau d’où jaillit la lumière.

A quand donc ce jaillissement joyeux et libérateur qui signale ma connivence avec le Tout ?

brahmacaryapratishtāyam vīryalābhah (YS-II-38)
brahma : le sacré, ses manifestations, Etre ou Principe suprême
condition de celui qui s’occupe du sacré, sacerdoce
car : se mouvoir, marcher, circuler, errer
vivre, pratiquer, accomplir, s’occuper de
vīrya: vigueur, énergie, efficacité, puissance